Nicolas Jules m’a fait parvenir un lien d’écoute vers son nouvel album qui est le neuvième de sa carrière réalisé en studio. Parce que c’est aussi comme ça que l’on se fait entendre en ce 21e siècle. Dans son courrier électronique, l’artiste précise que, désormais, pour se faire écouter du public, d’un large public, il faut :
– Produire des clips parce que beaucoup ne savent plus écouter de musique sans les yeux.
– Tout donner aux plateformes de streaming parce que, désormais, la majorité des gens n’écoute la musique que lorsqu’elle est gratuite. (…) Ces sites proposent aux artistes (c’est comme ça qu’ils nous nomment) de payer contre des insertions dans des playlists. Ainsi on rencontre par affinités (et surtout parce qu’on raque pour ça) des chansons qu’on ne connaissait pas avec l’impression gratifiante de la découverte.
– Étudier les statistiques.
– Booster le nombre de vues.
– Gagner en visibilité.
– Négocier.
– Travailler son image en équipe.
– Prendre des attachés de presse. Plus ils auront de relations, plus les relais se feront, plus ils seront onéreux. Je ne les blâme pas car certains peuvent être des alliés sincères défendant l’impossible.
– Faire des compromis.
– Être partout tout le temps. Une image avant le son.
– Tout ça, des courbettes, des arrangements et un label de premier rang pour aborder les télés et les radios nationales.
Alors, Nicolas Jules avoue avoir opté pour autre chose depuis quelques années : « Pas de plateformes paresseuses, pas d’attaché de presse, pas de distributeur, pas de clip, juste un disque vendu 12 balles sur mon site dont vous n’entendrez d’extrait nulle part et que vous pouvez commander avec le plaisir de la surprise. De la déception ou de la joie à peu de frais. Sincèrement, je ne sais pas si j’ai raison de faire comme ça. Ça vous oblige à venir à ce disque autrement. Ne m’en voulez pas si je me trompe. Disons simplement que je tente des choses qui instinctivement m’emmènent ailleurs. Je laisse passer le peloton et surtout la caravane publicitaire. Pas de premier, pas de dernier quand on est pas dans la course. Pas dans le coup non plus. Ça me va. J’arrive quand même à croiser des curieux, des mélancoliques et des égarés. (…) Je n’ai pas à vous convaincre. (…) À vous d’en parler sur blog ou sur papier, d’une bouche à une oreille, aux magazines indépendants et aux belles radios locales, aux amis, aux inconnus du smartphone ou du bistrot. À vous d’en parler à votre façon. C’est mon neuvième disque longue durée en studio. Je me fous que ça se vende ou pas. J’aimerais simplement des rencontres nouvelles pour partager avec les anciennes connaissances, sans algorithmes et sans concessions. Tout ceci n’est pas sérieux et c’est pour ça que je continue. À moi d’espérer que vous aimerez caresser mes tigres, vous baigner dans mes rivières. À moi d’espérer que vous aimerez mes idées d’oiseaux libres. Ce carnaval sauvage. »
Que peut-on ajouter à ce texte si méticuleusement pensé par l’artiste qui, plus que jamais, nous délivre douze chansons d’une intense poésie sur des musiques dépouillées et efficaces ? Le thème global tourne autour de la difficulté de vivre ensemble, que ce soit en couple au autrement. Mais aucun de ces textes ne ressemble à un autre et chacun ne s’épanouit que dans une originalité exceptionnelle.
Permettez-moi ainsi de vous livrer quelques vers, sublimes, de « Orties » :
« Où je vis un coup de foudre tu ne vis que de l’orage
Plus je te jetais d’oiseaux, plus tu me jetais de cages
J’ai tout un jardin d’amour depuis que tu es partie
Qui commence bouquet de roses, qui finit carré d’orties. »
La chanson « Les étoiles dans le lac » , comme des parenthèses, ouvre et ferme l’album en deux versions distinctes. Elle est une sorte de réflexion sur la condition humaine, une espèce de catalogue des êtres humains, un répertoire de leurs ambitions, qualités et défauts.
Telles les étoiles se reflétant dans un lac, ce nouveau disque de Nicolas Jules est une comète scintillante traversant la galaxie de la chanson francophone. Un phénomène unique.
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