Le directeur artistique et producteur musical français Jacques CANETTI naît le 30 mai 1909 à Roussé en Bulgarie. Il est le frère d’Elias Canetti, de quatre ans son aîné et écrivain d’expression allemande ayant reçu le prix Nobel de littérature en 1981. Son frère cadet, Georges Canetti a été chercheur et professeur spécialiste de la tuberculose à l’Institut Pasteur de Paris. Très tôt, il est amené à suivre ses parents là où ils vont vivre. Il quitte ainsi très vite son pays natal pour la Grande-Bretagne où il passe son enfance avant de suivre des études en Autriche, en Allemagne et en Suisse. Et c’est finalement en France qu’il entame, en 1928, des hautes études commerciales qu’il ne terminera pas en raison de la découverte d’une nouvelle passion pour la musique et le music-hall parisien. Sa connaissance du piano et sa pratique de quatre langues vont grandement l’aider à évoluer dans un milieu où il va très vite trouver sa place. Suite à une annonce de la firme phonographique Polydor qui était en quête d’un jeune homme sachant parler l’allemand et aimant la musique, il se fait engager en 1930 par le label Deutsche Grammophon qui est spécialisé dans la musique classique. Mais l’homme apprécie aussi le jazz et, dès cette époque, il organise des concerts dans les villes universitaires où il fait venir des artistes prestigieux comme Duke Ellington ou Louis Armstrong. Côtoyant de plus en plus les célébrités du show business, de la musique et du cinéma, il rencontre l’actrice allemande Marlène Dietrich et la persuade que sa voix grave pourrait lui permettre d’interpréter des chansons à enregistrer sur un disque. C’est chose faite en 1933 avec deux titres en français : « Assez » et « Moi j’m’ennuie ».
En 1935, Marcel Bleustein fonde la station de radio généraliste, privée et parisienne « Radio-Cité ». Et, dès le départ, l’homme confie à Canetti la direction artistique des programmes. Ce dernier en profite pour créer des émissions phares comme « Le music-hall des jeunes » qui, 30 ans avant « Salut les Copains », révèle des jeunes artistes prometteurs comme Charles Trenet ou Edith Piaf à qui il permet d’enregistrer son premier disque chez Polydor : « Les mômes de la cloche ».
Pendant la seconde guerre mondiale, les origines juives de Canetti l’obligent à partir vers la zone libre grâce à l’actrice Françoise Rosay avec qui il organise des spectacles dans le sud de la France. Il arrive ensuite en Afrique du Nord au moment du débarquement des soldats américains en 1942. En Algérie, il prend la direction de Radio-Alger qu’il débaptise rapidement pour en faire Radio France. Mais en accomplissant ce geste, il est considéré comme étant probablement « gaulliste » et il s’empresse de quitter son poste fraichement acquis pour créer le Théâtre des Trois Anes qui propose des spectacles dans toute l’Afrique du Nord avec pour but de récolter de l’argent pour le mouvement « Combat ». Le conflit terminé, Jacques Canetti rejoint la France et achète, à Paris, un vieux dancing désaffecté qu’il transforme pour en faire le théâtre des Trois Baudets en 1947. Redevenu producteur chez Polydor, il compte bien profiter de l’aubaine pour découvrir de nouveaux talents et les faire connaître dans son théâtre. Et le premier artiste qu’il va repérer l’est au Canada où Canetti se déplace en 1950. Il y fait la connaissance de Félix Leclerc qu’il convainc de venir en France pour chanter aux Trois Baudets et enregistrer un disque.
En 1952, le label Polydor est racheté par la firme Philips mais Jacques Canetti en reste le directeur artistique jusqu’en 1962. Il permet ainsi à toute une série d’auteurs-compositeurs-interprètes talentueux d’éclore : Georges Brassens, Jacques Brel, Guy Béart, Boris Vian, Patachou, Serge Gainsbourg, Francis Lemarque, Mouloudji, Boby Lapointe, Ricet Barrier, Anne Sylvestre, Maurice Fanon, Leny Escudero, Claude Nougaro, Henri Salvador, etc. Le théâtre des Trois Baudets accueille des artistes dont il s’occupe personnellement mais aussi d’autres qui deviennent des valeurs sûres de la chanson française : Juliette Gréco, les Frères Jacques, Catherine Sauvage, Philippe Clay, les Quatre Barbus, Isabelle Aubret, André Claveau, Pierre Dudan, Jacqueline François, Lucienne Vernay (qu’il épouse en 1947), Armand Mestral, Zizi Jeanmaire, Jean-Claude Darnal, Aglaé, Dario Moreno, etc.
A une époque, l’homme organise aussi les tournées Canetti qui, le temps d’un été, proposent des spectacles avec un nombre d’artistes allant de quatre à dix. Les concerts sont proposés en France mais aussi dans les colonies françaises, aux Etats-Unis et au Japon. En 1961, la firme discographique Philips engage Johnny Hallyday et entend bien sacrifier une très grande partie de son budget à des jeunes chanteurs de rock qui passionnent les jeunes qui deviennent de gros consommateurs de musique et de disques. Cela n’enchante pas Jacques Canetti qui préfère quitter la firme pour fonder son propre label phonographique en 1962. Mais les artistes à qui il a fait signer un contrat chez Philips ne lui appartiennent plus. Et il doit donc trouver de nouveaux talents pour lancer ses propres productions dans un contexte où la chanson française et ses auteurs-compositeurs-interprètes doit faire face à la déferlante du rock, du twist, des yé-yés et des adaptations françaises, parfois fantaisistes, de grands succès anglo-saxons. La première artiste qu’il va engager n’est pas une inconnue. Mais il ne s’agit pas (encore) d’une chanteuse. Jeanne Moreau chante cependant pour la première fois dans le film « Jules et Jim » de François Truffaut qui est alors à l’affiche des cinémas. Jacques Canetti lui trouve un talent certain et lui propose d’enregistrer un album avec des musiques signées par Serge Rezvani. Et le disque obtient un succès très honorable.
Poursuivant sa quête des acteurs ayant des aptitudes pour le chant, il convainc Serge Reggiani de graver un disque de chansons de Boris Vian.
Puis, il fait enregistrer « La Voix humaine » de Jean Cocteau par Simone Signoret. Les comédiens suivants se nomment Pierre Brasseur et Michel Simon. Alors qu’il permet à Cora Vaucaire de poursuivre sa carrière discographique, il découvre de jeunes talents prometteurs qui ont pour nom Jacques Higelin, Brigitte Fontaine et, plus tard, Bruno Brel.
Il crée aussi les premières anthologies consacrées aux grands poètes de la chanson française : Boris Vian et Jacques Prévert notamment. Mais, privé des moyens auxquels il avait jadis accès, Jacques Canetti ne retrouvera jamais le joli temps des années 1950 et, en conséquence, il devra aussi abonner le théâtre des Trois Baudets en 1967. En 1978, il écrit ses mémoires : « Cherche jeune homme aimant la musique ». Douze ans plus tard, il produit « Zazie dans le métro », dans une adaptation d’Évelyne Levasseur qu’elle interprète avec Claude Piéplu pour la collection « Le livre qui parle ». En 1997, à presque 88 ans, il quitte le métier. Deux de ses trois enfants, Bernard et Françoise Canetti, reprennent alors les Productions Jacques Canetti dont le catalogue patrimonial est impressionnant. Sa retraite est de courte durée puisque, le 7 juin 1997, Jacques Canetti meurt à Suresnes (Hauts-de-Seine). Il est inhumé dans la 94e division du cimetière parisien du Père Lachaise.
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